Chronique de la dérive douce, Dany Laferrière

Tour du monde littéraire : Canada (vu par un Haïtien)

Chronique de la dérive douce,
Dany Laferrière

Lu en février 2021

J’admire les auteurs capables de changer radicalement de style d’un livre à l’autre. C’est visiblement le cas de Dany Laferrière, dont je viens de lire un second ouvrage qui m’a agréablement surprise. Non que le premier m’ait déplu (au contraire), mais je ne m’attendais pas à ce récit en vers, ce qui ne m’a pas empêchée de l’apprécier.

J’ai été séduite par ces instants capturés en quelques mots, assemblés comme des perles pour obtenir un ensemble cohérent, un portrait de la vie de Dany Laferrière à son arrivée au Canada. Désargenté, il fait son chemin et des rencontres sans sombrer dans l’auto-apitoiement, et savoure les plaisirs simples, gratuits et universels.

Le soir tombe.

Seul et pauvre, je peux donc jouir

à ma guise

de ce crépuscule rose.

Certains passages m’ont marquée, je veux les conserver dans ma mémoire pour m’y référer… Car Dany Laferrière, déraciné, en plein choc culturel, ne manque pas de mordant face à cette société industrialisée et parfois déconnectée ! Dans une posture d’observateur au regard neuf, il nous renvoie à nos incohérences en cinq vers et demi.

Affolés, ils regardent
sans cesse leur montre
comme s’il était possible,
à force de volonté,
de ralentir la course
du temps. Je reste
immobile
au milieu de cette tempête.

Et, alors que je n’ai a priori pas grand chose de commun avec un jeune homme de 20 ans haïtien, séducteur, expatrié (il dit, lui, être en voyage) dans les années 70 au Canada, je me suis parfois reconnue dans ses paroles. Ainsi ce passage…

Chaque fois que
je tiens un livre
dans ma main
je me sens rassuré
sachant
qu’à tout moment
je peux m’asseoir
sur un banc et
l’ouvrir.

Ou, dans l’état d’esprit inverse, celui-ci :

On a tous nos angoisses, il faut savoir avec lesquelles on accepte de passer la nuit.

Et puis il pousse à la réflexion par instant, lorsqu’il partage avec le lecteur ses pensées ou observations sur des problèmes de société qui sont toujours bien d’actualité ! Mais toujours avec justesse et délicatesse, par petites touches qui se suivent et se complètent, ou qui se font écho à plusieurs pages d’intervalle. Comme une oeuvre impressionniste, sans tomber dans l’idéalisme et en restant hors de portée du manichéisme !

Ce n’est que vers la fin d’octobre
que j’ai appris cette vieille règle.
Ne jamais se plaindre du racisme
si tu ne veux pas être perçu comme
un être inférieur.

J’attends mon prochain passage à la médiathèque pour emprunter un autre ouvrage de Dany Laferrière, car après L’odeur du café et Chronique de la dérive douce, j’ai l’impression d’avoir seulement entrevu les possibilités de cet auteur, et je veux en savoir plus !

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Crédit photo : Georges Seguin (Okki) – https://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0/

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