A cinq ans, je suis devenue terre à terre, Jeanne Cherhal

Lu en mars 2021

Jeanne Cherhal est l’une de mes chanteuses favorites. Adolescente, j’ai écouté en boucle son album Douze fois par an, avant de découvrir le premier qui porte son nom et de devoir partager mon écoute. Plus que tout, j’aime la simplicité du piano-voix même si parfois s’y glissent quelques autres instruments et arrangements. J’y trouve une énergie fabuleuse, un côté impertinent tellement adapté à ses paroles empreintes d’ironie, et un engagement qui ne pouvait qu’emporter l’adhésion de mon âme d’adolescente.
Je me rappelle le trac qui m’a saisie lorsque je l’ai rencontrée sous un chapiteau où elle jouait, dans une ferme voisine de celle de mes parents, avec Madame Suzie Productions. Plus fort encore que celui que j’ai affronté aux auditions de mon école de musique, quand j’ai chanté certaines de ses chansons devant les parents réunis.
Mais trêve de souvenirs attendris, venons-en aux faits, et donc au livre d’elle que j’ai découvert à la librairie lundi soir, et qui a fait voler en éclat ma volonté de ne ressortir qu’avec les livres que je venais retirer suite à une commande (après ça, je suis arrivée en caisse avec le double de ce qui était prévu, merci Jeanne !)

A cinq ans, je suis devenue terre à terre est un petit livre d’à peine plus de 150 pages, un recueil des mots préférés de Jeanne Cherhal, chacun prétexte à humour, digression, anecdote, revendication, déclaration d’amitié, coup de gueule, critique piquante, jeu de mots…
On y sent l’amoureuse de la langue qui trouve à s’émerveiller dans les aléas du français, du créole ou du patois de son petit coin du Nord-Loire (si vous ne savez pas ce qu’est un ramasse-bourrier, c’est l’occasion de l’apprendre). Elle peint pour nous les images que les mots construisent dans son esprit, à base de sons, de couleurs, de formes et même de goûts.

Plainte, par exemple, a un goût de purée de pois chiches à l’huile d’olive (ce qui n’est pas le cas de houmous, bizarrement).

Elle se livre au fil des pages, nous raconte sa vie d’artiste, son ami des îles, les parties de scrabble avec sa mère et sa grand-mère pendant une enfance rurale [écho Rural ?!], ses rêves de désencombrement, son oncle « resté un petit enfant dans un corps devenu adulte », son admiration pour un puant poème à base de charogne et sa reconnaissance pour « merde » [écho : La station], deux épisodes scolaires, son engagement [écho : Donges ou Madame Suzie, ou, plus dur, un morceau sans titre], sa relation aux règles [écho : Un trait danger ou Douze fois par an]…

Au passage, je me demande si elle n’a pas des problèmes de relation avec un certain nombre de mots. Elle va quand même jusqu’à traiter « yoga » d’escroc ! Mais passons… Car ce qui est sûr, c’est qu’elle est dans ce livre comme sur scène : déjantée, cultivée, pertinente et impertinente, proche, à l’aise, simple. Je sens comme un regain de mon adoration aveugle d’adolescente !

A cinq ans, je suis devenue terre à terre n’est pas exempt de passages sérieux, il fait parfois prendre du recul (et acquérir du vocabulaire…), mais pour l’essentiel il est dans un registre amusant et léger. Très court, je l’ai dévoré en moins de 24 heures… et aussitôt reposé sur ma pile de livres à lire, en compagnie du Cyrano de Bergerac de Rostand, des Pensées de Pascal, pour y revenir à l’occasion piocher un bonbon pour la langue et l’esprit…

_{Jeanne, je me permets de te tutoyer parce que tu étais finalement si accessible lorsque j’ai rassemblé tout mon courage pour t’aborder à l’entrée de ce fameux chapiteau, merci pour ta musique et tes concerts, merci pour ce livre ! Je réécoute tes chansons dans un ordre aléatoire sur internet (tous mes CD sont restés chez mes parents, quelle idée !), et chaque fois qu’une nouvelle commence, je me dis « C’est celle-ci que je vais citer dans l’article ! » « Non, celle-ci en fait ! » Je ne peux pas me décider, j’aime tout, pour des raisons différentes, et chacune présente un aspect qui entre en résonance avec ce livre… Résultat, j’ai usé et abusé de liens ! J’espère que ça encouragera d’éventuels non-connaisseurs à attendre avec impatience la reprise des concerts. Dans l’intervalle, il y a le livre…}

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